Depuis maintenant neuf mois, nos enfants se sont habitués à être entourés pour l’endormissement. Lorsque nous vivions à Etréchy, ils dormaient déjà dans la même chambre, il suffisait de gérer le rituel du soir, de faire un bisou, d’éteindre la lumière, de dire bonne nuit et de refaire ce petit processus trois ou quatre fois dans la soirée avant l’endormissement total. Mais entre les déménagements, le passage à vivre chez mes parents pendant une demi-année, les rythmes qui bougent, maman qui taffe, papa qui perd son taf, l’hospitalisation de hibou en septembre…. Cela rassurait tout le monde, nous y compris, de s’endormir ensemble. Chez mes parents, on dormait dans la même chambre tous les quatre, et on était bien.
Départ tout frais à Toulouse (depuis plus de quatre mois), nous nous sommes sentis prêts à retrouver le confort de notre lit conjugal. Sans pied dans le visage. Sans fesses au sol entre les deux matelas. Nous nous sommes sentis prêts à quitter la chambre sur la pointe des pieds, berçant nos fils de mots susurrés, mais en fermant la porte, rassurés, eux au pays des songes, nous devant Netflix (en plus y’a Sense Eight qui recommence).
Nous avons donc commencé par ne plus passer la nuit tous les quatre, et avons réinvesti la chambre parentale. Une fois les ronflements et les respirations lentes entendues, nous nous éclipsions pour aller à notre tour nous coucher, ou profiter de la fin de soirée selon l’heure et la fatigue.
Puis, nous avons mis en place un endormissement « à tour de rôle ». Un jour sur deux, papa couchait les zouilles. L’autre c’était moi. Cela libérait une soirée totale à l’autre parent, mais question moment partagés en couple, on n’y était pas. Surtout quand c’était mon tour parce que je m’endormais quasi systématiquement^^
Au bout de deux mois de pratique, voyant que nos garçons se rendormaient plutôt bien, que ce système roulait, et qu’ils commençaient à être apaisés et habitués à la maison (largement), nous avons décidé de franchir le pas.
Le coucher « sans les parents »
On avait beau en parler depuis quelques jours, puis quelques semaines, on trouvait toujours une raison pour ne pas casser notre rituel. Y’a l’école qui redémarre, ils ont eu un gros week-end, aujourd’hui Hibou a besoin des bras, ce soir Loupi a besoin de présence…
L’envie de passer de nouveau des soirées d’adulte a pris de l’ampleur, mais onavait la trouille de tout bouger alors que ça se passait bien. Jusqu’au jour où…
Malheureusement, un soir, j’ai craqué. J’étais fatiguée, j’avais pas le moral, j’étais dans un bad mood, et je le pressentais. Hibou a senti la faille, il était excité comme une puce. Je pensais que le Grand s’était endormi mais que nenni. Au bout d’une demi-heure (ce qui est court pour perdre patience, en général j’ai un peu plus d’endurance), je suis sortie en disant que je ne pouvais plus passer des soirées comme ça, avec cet ascenseur émotionnel de « il s’endort, en fait non, on recommence tout » pendant des heures et des heures (ou plutôt ce qui me semblait être des heures et des heures). J’ai crié. J’ai perdu mon sang froid. J’ai demandé à mon mari d’intervenir. Il a crié aussi.
On a décidé d’arrêter l’endormissement d’une façon violente qui s’apparentait à une punition. On en était pas fier.
Papa Orange est redevenu calme. Il a expliqué la situation aux garçons, les garçons négociaient, suppliaient, moi je m’auto-flagellais d’avoir pété les plombs, et j’avais envie de retourner me coucher avec eux.
Les enfants ont pleuré. Papa Orange y est retourné. ça a duré une heure. Sans pour autant laisser pleurer, il ne cédait pas non plus à la tentation de se réinstaller près d’eux. Ils se sont endormis, et ce n’était pas une victoire. C’était à mon tour de pleurer. Je répétais en boucle que je violais mes principes, que je n’avais pas été à la hauteur, que j’étais nulle, et qu’il fallait trouver une autre manière.
Trouver un autre angle d’approche
Mon mari à son habitude s’est avéré doux, sécurisant et apaisant. On a longuement débriefé du plan d’attaque « coucher efficace » tout en restant fidèles à nos principes de base. Notre mission « coucher les Zouilles » était lancée. Mal lancée, mais lancée. On ne voulait pas retourner en arrière. Pas par fierté, mais parce qu’on savait intimement que c’était le bon moment. C’était à nous de rattraper le coup pour corriger les coquilles du lancement chaotique, mais j’avais confiance en mon mari (un peu plus qu’en moi).
Deuxième soir. Nous préparons psychologiquement les enfants dès le goûter. Nous reparlons de la veille, nous les culpabilisons pas, nous expliquons les faits, les raisons. Nous raisonnons, peut-être un peu trop d’ailleurs. Min’hibou fait mine de ne pas entendre, Loupi semble bien intégrer l’info même s’il se défend en disant que « ce soir il serait sage » (et mon coeur se serre, car je ne veux pas que ce soit perçu comme une punition, sauf que vu le début, normal que ce soit intégré comme tel). J’explique bien ce point, je les couvre d’amour. Je leur montre que je les aime, je leur dis aussi. Nous leur rappelons qu’il a toujours été question de se rendormir seul, depuis notre départ d’Etréchy, et que nous attendions le bon moment. Nous leur disons que nous pensons que le bon moment, c’est ce soir. Nous évitons de parler du foin de la veille, pour ne pas qu’ils se disent que c’est une conséquence (même si Papa Orange le soir d’avant avait quand même expliqué aux garçons qu’ils étaient allé trop loin dans la recherche des limites et qu’il fallait reposer le cadre). C’est vrai, c’est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Mais nous avons essayé au mieux de ne pas leur imposer l’idée. Nous sommes sûrs qu’ils ont les ressources nécessaires pour gérer cette nouvelle information. Tant qu’ils sont écoutés et accompagnés.
La peur de mal faire, la peur de tout gâcher
Ce soir-là, notre grand Loupi est très raisonnable (trop?), et apaise son frère qui pleure. Papa Orange intervient car, aussi adorable que ce soit, nous n’avons pas envie que Hibou pense que nous ne sommes pas concernés, empathiques et investis. Papa Orange dit à son fils aîné que sa réaction est très prévenante, mais qu’il faut que lui aussi dorme.
Mon mari retourne les voir de nombreuses fois, ça dure une petite heure aussi. Ils comprennent, ils sont rassurés, ils s’endorment. Moi, je reste à distance parce que je sens mon coeur de maman trop faible. Je me sens coupable. Je sens que mes fils encaissent ce nouveau rituel, j’ai peur de mal faire, j’ai peur qu’ils se disent que de toute façon ça ne sert à rien de se battre parce qu’on ne changera pas d’avis. Pas parce que c’est juste, mais parce qu’on n’est pas à leur écoute. Tout cela me remue beaucoup. J’ai si peur de tout gâcher. Mais Papa Orange me montre par tous les moyens qu’il n’use en aucun cas d’autorité sadique, et qu’il est dans la communication et l’empathie. Cela me rassure.
Troisième soir. Ils ont bien enregistré que le rituel changeait. Vers 19h00 (lorsqu’on monte à l’étage pour brossage de dents, lectures, moment calme), Loupi nous demande de rester avec eux. La phrase tourne en boucle, sitôt dans la bouche du Grand, sitôt du Petit. C’est dur pour moi, mais on explique, encore. Moi au fond je me dis « et s’ils en avaient encore physiologiquement, psychologiquement, besoin? ». On trouve des astuces en écoutant leurs besoin « qu’est-ce qu’on pourrait faire, pour que tu te sentes apaisé, à part rester avec toi? Et si je te passais mon Nin-Nin? Un tshirt de papa ? » Ces objets transitionnels qui ont la faculté de les calmer et d’accepter la décision.
Après les avoir câlinés, reconfortés, et quitté la pièce, les deux garçons pleurent. Ils sont bouleversés. Je pleure aussi. J’ai envie de tout laisser tomber, ils sont si jeunes ! Après tout, on s’en fout, demain, ils seront adultes ! Profitons d’eux, là, maintenant, ils ont besoin de nous, là, tout de suite, là, près d’eux ! Pourquoi on ne les écoute pas ?
Papa Orange a les yeux embués aussi, il me dit qu’il n’aime pas la tournure que ça prend, et qu’il fait un dernier essai. Il y retourne, pendant un bon moment. Je ne sais pas exactement ce qu’il leur dit, j’entends des bribes. Qu’il faut dormir pour avoir de l’énergie et profiter du lendemain. Qu’on ne bouge pas, qu’on est juste dans la pièce à côté. Qu’on les aime. Qu’on les aime si fort. Qu’on a besoin d’un temps en amoureux, juste tous les deux, un peu. Qu’on les aime tellement.
Le grand s’endort. Il a juste besoin d’être rassuré, qu’on lui dise qu’on est présent, quoiqu’il arrive.
Le petit met plus de temps. On le câline à tour de rôle, parce qu’il me réclame et que je ne peux pas ne pas répondre au mot « maman ». Papa Orange et moi sommes convaincus, au fond, qu’on est sur la bonne voie. On tâtonne, c’est tout. Lorsque j’entends « maman », et que passe le pas de la porte, je laisse sur le palier les angoisses liées à la situation. Je ne pense qu’au positif de tout cela. C’est chouette pour leur autonomie, c’est super de n’être qu’eux deux dans leur chambre pendant un temps avant de s’endormir ! C’est cool pour nous d’avoir nos soirées !
Il s’endort. Le Loupi en une vingtaine de minutes, le Hibou en quarante-cinq minutes. Y’a du mieux.
Baissent-ils les bras ? Comprennent-ils les intentions ? J’espère que le confort de nos besoins ne sera pas au détriment de quelque chose de plus capital, comme la confiance qu’ils nous accordent. C’est vrai, on se débrouille au mieux et assez bien, mais est-ce suffisant ?
Que c’est difficile de s’écouter, d’écouter ses propres besoins, sans oublier les leurs au passage. Que c’est difficile de tout concilier, d’être patient, tolérant et empathique, sans culpabilité, sans rage, sans rancoeur. Que c’est difficile d’être parent.
Le soulagement. La reconnaissance envers nos enfants.
Quatrième soir. Il n’est même pas question de réexpliquer et de négocier. La routine est intégrée. C’est vrai qu’on a passé une journée particulièrement douce, pleine de bonnes nouvelles qui réchauffent le coeur ! Est-ce que ça a joué ? En tout cas, les dents, l’histoire, le papotage sur l’oreiller, les câlins, les bisous, les Je t’aime, et le sommeil qui arrive. Sans un bruit. Avec deux parents assis devant la porte qui se demandent s’ils rêvent ou non.
Waw, on l’a fait.
On a eu notre premier coucher normal depuis neuf mois ! \o/
Et on n’en a pas profité parce qu’on est resté une heure à attendre voir si ça se levait. XD
Le lendemain, nous avons exprimé notre reconnaissance à nos enfants. Nous les avons remercié. Nous leur avons demandé leurs sentiments. Nous sommes si fiers, tous les quatre, de ce que l’on construit.
Cinquième soir : tout comme le quatrième soir. WOUHOU ! Vendons la peau de l’ours et publions ce billet ! 😀
Je nous souhaite que cela continue. Toujours dans la douceur, la communication, le respect et l’empathie. Je nous aime tellement.
C’est super, j’espère que ça va continuer comme ça 😊
Aaaah ! On a les mêmes couchers ici… avec le plus grand ! On était sur le point de réussir à changer le tout et puis… le petit frère qui débarque et un rythme qui change totalement, on est repartis pour un tour ! ça prend généralement une bonne heure à rester dans sa chambre, tantôt en parlant doucement, en se racontant la journée, en se battant un peu ou juste en le regardant silencieusement… Mais tu me redonnes un peu d’espoir 😉