Être adulte, dans les yeux d’un enfant
Quand j’étais petite, j’avais hâte d’être adulte. Déjà parce qu’enfin les gens de mon âge seraient responsables et auraient des conversations intéressantes, mais aussi pour avoir du pouvoir.
Être adulte, c’est être à la place de la personne qui décide, et pas de celle qui subit. C’est avoir une force créatrice dans sa vie, et pas spectatrice qui doit attendre que la vie passe. J’avais le sentiment qu’en devenant adulte, je deviendrai libre.
J’pensais qu’être adulte, c’était vraiment trop cool. Qu’on avait enfin le droit de défoncer le pot de nutella à la cuillère ou de se balader cul-nu toute la journée.
Et puis, je suis devenue maman.
J’ai été propulsée à ce rang un mercredi d’avril, pour l’heure du goûter. J’m’étais même pas rendue compte que j’étais devenue adulte, entre temps. Mais je m’étais dit, c’est chouette, je vais enfin être le chef dans ma maison ! Et ça va être trop bien, parce que, d’abord, j’ai pas grandi, alors je serai une maman qui fera du toboggan avec son fils et qui jouera à cache-cache dans les placards !
Effectivement, les scènes de la vie quotidiennes ressemblaient à ce que j’avais imaginé. Mon âme d’enfant a pris le dessus sur l’enveloppe d’adulte que je porte. Mon coeur est encore hyper pur de ce côté-là, je ne me sens pas atteinte par les problèmes de grandes personnes. (Ce n’est pas toujours une bonne chose, mais c’est un autre sujet)
Cependant, quelque chose résiste. Entre mes croyances d’enfant et ce à quoi je suis confrontée aujourd’hui, je vois bien qu’il y a un fossé.
Ce sont mes fils, mais ils ne m’appartiennent pas.
Plus le temps passe, et plus je regarde mes enfants comme de libres personnes. Ils sont nés de mon corps, ils portent le nom de leur père, et pourtant… Je n’ai pas le sentiment qu’ils m’appartiennent. C’est un peu comme un cadeau que je fais au monde, je les considère enfants de la Terre (hippie coucou !)
Oui, je suis garante de leur sécurité, et je les aime d’un amour si tendre et si profond que je ne vois plus ma vie sans eux. Mais… Je n’ai pas envie d’avoir ce pouvoir sur eux.
Celui culpabilisant, qui les pousse à me rendre fière d’eux
Celui décevant, qui réagit lorsque mes fils n’ont pas le comportement que j’attends d’eux
Celui contrôlant, qui espère que mes enfants réussiront dans la vie et seront des hommes biens.
En fait, plus le temps passe, et plus la seule chose que je désire, c’est qu’ils se sentent libres.
Vous savez, c’est comme quand les oiseaux apprennent à voler : le meilleur moyen pour eux, c’est de s’élancer, avec la confiance du papa oiseau et de la maman oiseau derrière. Je souhaite pour mes fils qu’ils ressentent ce sentiment-là. On est derrière, on les aime, quoiqu’il arrive, on est présent, mais on laisse faire. On a confiance, ils savent faire. Ou ils apprendront.
Ce n’est pas qu’on s’en carre le pâté de foie, c’est plutôt que ce que l’on souhaite pour eux, c’est qu’ils sachent qu’ils ont un filet de sécurité, mais qu’ils sont libres de leur mouvements. On est là. On observe. On ne lâche pas. On sécurise. Mais on ne leur agrippe pas la main. On ne les tient pas en laisse. On ne les étouffe pas dans nos bras.
Et qu’importe s’ils prennent des chemins que l’on n’aurait pas prédit, s’ils nous surprennent par leur originalité, s’ils sont différents de ce qu’on l’on aurait pu rêver.
Finalement, ce qui est plus important que tout le reste, c’est qu’ils soient fidèles à eux-mêmes, naturels au plus profond de leur être, authentiques. Pas qu’ils fassent des choses pour nous faire plaisir, nous ressembler…
Lorsqu’Axel s’est ramené avec sa première passion rapatriée de l’école (qui nous dépassait, donc) nous nous sommes intéressés à sa nouvelle lubie. Sa marraine lui a offert un coloriage des personnages, et nous, des livres. Nous avons cherché à en connaître plus (même si on trouve ça moins cool que les Pokémons) juste pour qu’il puisse exprimer sa passion avec nous. C’était enrichissant, et en même temps, ça nous a poussé à l’humilité : c’était Axel qui nous apprenait quelque chose ! (Pas que ce soit super utile dans la vie de connaître les prénoms des Yokai, mais dans l’idée, lui exprimer qu’il est en position de pouvoir nous apprendre de nouvelles données, c’est très important à notre sens.)
Nos enfants ne sont pas des mini-nous. Ils ont le droit d’avoir leurs propres façons d’agir (dans la limite de notre éducation évidemment), leurs propres passions surtout. Être capable de lâcher prise sur ce contrôle, c’est accepter que nos enfants soient des êtres à part entière. Des petits d’hommes en construction, dans leur généralité. Bien sûr, je suis fière qu’ils fassent un duel de sorcier, et mon mari a des étoiles dans les yeux quand ils jouent à Zelda en se déguisant. Mais les laisser être libres, c’est s’assurer qu’ils s’épanouissent sans se sentir étouffés par nos désirs inconscients.
le Contrôle dans l’éducation
Je me suis laissée surprendre ces dernières semaines à être hyper contrôlante. Là encore, c’est la déferlante de nouveaux événements qui m’a donné envie de maîtriser quelque chose, et quoi de mieux qu’un truc difficile à maîtriser comme le comportement de mes enfants. Mais on trouve ça facile parce que, sous prétexte qu’ils sont des enfants, on peut se permettre de mal leur parler, de faire preuve de violence verbale, de menacer… On sait, par notre propre expérience en tant qu’enfant ou les mémoires transgénérationnelles qu’on se trimballe depuis des siècles que les enfants plient sous le courroux de l’adulte, par faiblesse physique, et par domination de la grande personne. C’est si… facile. Mais est-ce vraiment la solution ? Se sent-on vraiment mieux, de les contrôler de la sorte ?
Ces derniers temps, les transmissions (quand les bébés que je garde quittent mon domicile le soir) étaient une horreur. Ça n’a jamais été une partie de plaisir en présence des zouilles, mais là c’était particulièrement insupportable. Loupi montait sur la table, Hibou se mettait à crier des mots d’oiseaux… Vraiment, la mère dépassée. Plus j’essayais de les faire taire, de les canaliser, pire c’était. Sans parler de l’oeil du Parent Employeur (qui s’en fout probablement hein !) qui me mettait mal à l’aise, voici le parfait exemple du cocktail explosif.
Ils sont mal élevés ces gosses
En fait, ils sont plutôt élevés dans le respect de leur personne. Donc c’est compliqué quand après ils jouent sur la corde sensible, en sachant très bien que tu ne vas pas les humilier, les frapper ou les punir. C’est compliqué de trouver le juste milieu et ça demande beaucoup d’énergie (que je n’ai pas forcément en ce moment). Tout cela finissait souvent en larmes (de ma part) et en calme retrouvé dès que le Parent avait fermé la porte. Hyper frustrant.
On en revient aux besoins inassouvis, et à l’incapacité de se contrôler dans ces cas-là. Sauf que moi, pendant les transmissions, je ne suis pas disponible. Je ne me rends pas disponible. C’est alors très compliqué à gérer.
Il m’a fallu lâcher prise. Accepter que mes enfants ne soient pas parfaits, qu’ils aient besoin eux aussi de péter un câble (en même temps après une journée à avoir partagé sa maman, l’idée même que tout bientôt ils la retrouveront pour eux tout seul, c’est trop excitant à contenir !), même s’ils ont passé une bonne journée, même si j’ai été présente à l’écoute et tout et tout. Ils faut qu’ils craquent, et ils le font au moment où je le tolère le moins.
Il faut que j’accepte, que, oui, ce sont juste des enfants.
J’serai pas toujours derrière vous
Au même titre qu’il est important de lâcher la bride dans certaines occasions, il faut être capable aussi de prendre un peu de distance face aux événements : montrer qu’on est réceptif et présent à nos enfants (empathie, respect, communication…) c’est essentiel. Mais accourir en criant pour la moindre chute, coller les lardons quand on sort au parc pour éviter qu’un voyou d’enfant vienne les bousculer etc… Ce sont d’autant de scènes que je me dois d’éviter, pour leur propre bien, pour leur autonomie. A moi de remplir leur jauge de confiance en eux et de sécurité affective pour qu’ils osent aller de l’avant, pour que le portage psychique s’établisse et qu’ils n’aient pas besoin que je sois scotchée à eux pour savoir que je veille sur eux.
Je sais que mes enfants ont les clés. Toutes les clés. Ils sont capables de trouver des solutions. Il faut juste que je les laisse avoir l’opportunité de les trouver.
Lâcher un peu de lest ne fait pas de mal (ni à moi , ni à eux), leur montrer que j’ai confiance en leur capacité de faire, d’être, de réagir, leur permet aussi de ne pas abuser. Plus je vais être sur leur dos, plus ils seront difficiles à gérer parce qu’ils seront sous pression.
Le lâcher prise au niveau des enfants, dans tous les domaines, c’est primordial. Résumons donc comment on peut lâcher prise avec nos enfants (tout en maintenant une sécurité et une éducation qui nous conviennent)
- On leur apprend à faire seul : la base du concept Montessori. On ne fait pas à leur place quelque chose qu’ils sont dans la capacité de réaliser eux-mêmes. C’est bon pour leur confiance en eux, leur autonomie, et c’est bon aussi pour nous ! Nos enfants sont véritablement capables de grandes choses, si on les laisse se débrouiller (tout en les sécurisant) !
- On les fait participer à la vie de la maison : les enfants adorent se sentir utiles. Et en valorisant leurs compétences, leur aide, en faisant preuve de gratitude à leur égard, on booste la confiance en eux ! De + ça nous évite d’avoir de la charge mentale à s’ajouter en devant tout faire pour soi-même ET pour ses enfants. Les petits peuvent largement nous aider, avec une fierté extrême et une joie indicible (y’a qu’eux pour autant aimer vider le lave-vaisselle !) Attention, les faire participer ne signifie pas les forcer. Sinon, ils redeviennent passif et ont le sentiment d’être soumis.
- On ne trouve pas de solution à leur place : c’est toujours frustrant de les voir se battre ou de les surprendre en train de se disputer, mais faire l’arbitre ne résout le problème qu’en apparence. Personnellement, j’ai du mal à m’en empêcher quand ils se font mal (mais j’ai remarqué que la plupart du temps, ils jouent, en fait) Pareil pour plus tard, quand ils feront leurs devoirs. J’espère pouvoir conserver cette façon de faire, qui tend plutôt à poser des questions ou des affirmations du type « tu en penses quoi, toi, tu es satisfait ? » ou encore « je suis sûre que vous pouvez trouver une solution les garçons ». ça demande un certain self-control, c’est vrai. Mais c’est important. Il faut que la solution viennent d’eux, sinon ils vont devenir dépendant de mon avis, de mon jugement, de mes réactions… Et ça, je ne veux pas (et je suis bien placée pour le savoir car j’ai énormément de mal à prendre des décisions aujourd’hui. Je ne sais pas faire, j’ai toujours laissé les autres décider pour moi. C’est très handicapant !)
- On leur rappelle qu’ils ont déjà réussi ! S’ils bloquent sur quelque chose, on essaie de les motiver en leur disant qu’un jour, ils ont persévéré et qu’on a confiance en eux ! « Tu sais, quand tu avais sept mois, tu as passé une demi-journée, sans rien faire d’autre, à te dandiner sur quatre pattes, jusqu’à ce que tu comprennes la mécanique de lever le bras, pour enfin avancer. C’était incroyable ! Tu avais les ressources en toi, tu as su faire ! Je suis sûre que pour ce problème-là, c’est exactement pareil ! Tu vas trouver ! Courage !
- On est bienveillant envers soi-même, on accepte de ne pas avoir de réponse, on accepte qu’ils ne soient que des enfants, on est capable de leur faire confiance pour trouver des solutions sans leur imposer, sans crier, sans menacer, sans punir… Ça peut sembler facile à dire. Mais je vous assure, quand on prend le temps de trouver une solution autre que ce que l’on a l’habitude de faire par répétition machinale, on se rend compte à quel point ils sont réceptifs (voire reconnaissants !)
Cette façon-là de les accompagner dans la vie, c’est leur offrir un trésor inestimable : ils seront capables d’avoir confiance en qui ils sont. Ils connaîtront leurs capacités. Leurs limites. Leurs faiblesses. Ils n’auront pas besoin d’un adulte pour leur dire que c’est bien ou mal, ils l’auront découvert par eux-même, via l’expérience.
De toute façon, nous les baignons dans notre univers à nous. Ils vont y prendre ce qui les attire, laisser le reste. Ils portent des prénoms qu’on leur a choisi, qui ont une histoire. Ils sont déjà une part de nous, de notre histoire. Laissons-leur la liberté de créer leur propre univers, leur propre vie. Offrons leur assez de confiance pour qu’ils puissent s’épanouir, comme de jolies fleurs.
Honnêtement, n’est-ce pas là le rôle de tout parent ? 🙂
❤❤❤
Ma fille aime bien le lave vaisselle aussi et mettre la table 🙂
Par contre, le linge l’intéresse de moins en moins 😆