Ce billet est sans aucun doute le plus difficile article que j’aie eu à écrire. Il m’a fallu faire un long chemin afin d’arriver à poser les mots justes. A raconter mon histoire sans pathos et sans détours. Juste un texte personnel et malheureusement, un peu trop universel.
Récemment, j’ai constaté quelque chose d’à la fois formidable et effrayant :
Parler délie les langues.
Dans ma vie, il a été question de faire un exercice extrêmement difficile.
Parler.
Moi, la bavarde, moi, celle qui supporte mal le silence et semble devoir à tout prix à travers des jets de mots la lourdeur d’une salle sans dialogue, moi, j’ai dû avaler ma salive maintes fois, dénouer ma gorge si bloquée, et oser. Oser parler.
J’ai rompu la loi du silence.
Je me suis rappellée, et je ne pouvais plus me taire.
D’abord avec ma soeur, femme avec laquelle je me sens en sécurité quoiqu’il arrive, je me suis sentie libre de lui parler de ce cauchemar que je faisais sans cesse, et qui devenait de plus en plus étouffant.
Et puis elle a dit « ça, Ariane, ce n’est pas un cauchemar. C’est un souvenir. «
Elle m’a raconté comment elle l’avait vécu, elle.
Ça a été dur. Ça a été révoltant. Triste. Gerbant.
Le plus difficile dans cette histoire, c’est ce sentiment d’impuissance. C’est cet amour dévorant que j’ai pour elle et qui d’un coup m’a tout fait comprendre : pourquoi j’ai besoin de contrôler. Pourquoi j’ai peur du noir. Peur des bruits. Peur des silences. Pourquoi je culpabilise « de naissance », pourquoi j’ai le sentiment de n’être jamais assez.
Je ne suis plus complète. Je ne l’ai jamais vraiment été.
Des morceaux d’âmes se sont échappés de moi lorsque j’avais trois ans. Et, depuis que j’en ai conscience, je travaille à les retrouver.
Ensemble, on a commencé à sortir de notre amnésie et à en parler.
Aux premiers concernés, nos soeurs, notre frère, notre mère, nos deux figures paternelles.
Le tsunami.
C’est un cheminement très long, il me faut à chaque fois de longs jours, de longues semaines pour me remettre de chaque « annonce » que j’extériorise, comme si à chaque fois que j’en parlais, ça concrétisait un peu plus ce qui m’est arrivé. Comme si, à chaque fois, la possibilité que ce ne soit qu’un cauchemar disparaissait un peu plus. C’est à la fois « rassurant », car être validée dans ses ressentis, et comprendre sa propre vie 29 ans plus tard ça a un effet vraiment soulageant (ma grande vague de gratitude et de créativité vient de là). Mais ça fait aussi tomber profondément bas quand on se rend compte qu’on n’a pas eu la chance d’être une enfant innocente très longtemps.
Ecrire me fait énormément de bien, et j’ai beaucoup à dire sur ce que je ressens, mais ce ne sera pas ici. Pour le moment, ça prend des pages de journal, ça jaillit en vomis verbaux à ma psy, et c’est déjà pas mal.
Moi, j’écrivais ça, ici, pour parler d’autre chose. Du bénéfice de DIRE ce qu’on a vécu.
Le jour-même où un pédophile était consacré, moi, j’avais fait l’action la plus difficile de ma vie : confronter le mien, d’agresseur.
Le choc de cette annonce aux antipodes de mon action de guerrière m’a vraiment retournée, et j’ai dû encaisser. Ça m’a mis un uppercut, là où je l’attendais pas, le jour-même où je me suis dit, Ariane, tu sors de ta posture de victime pour entrer dans celle de la survivante. Tu es ta propre sauveuse.
Forte de cette phrase, j’ai compris ce qui se passait en moi, j’avais créé un passage, ou au moins, désobstrué. J’ai du mal à exprimer ce que j’ai ressenti. J’ai créé un rituel sur ma full intuition, pour accompagner ce deuil, ce process. C’est un peu comme si je me disais adieu. Adieu à la Ariane que j’ai toujours connu. Adieu à cette fragile petite chose, toujours dans l’injustice, toujours dans le désarroi, que personne ne comprend, qui ne demande qu’une chose : être aimée pour ce qu’elle est, avoir le droit d’être entendue et d’exister dans son intégrité.
Je te raconte ça parce que ce qui a été émotionnellement magnifique (et affreux en même temps) c’est que le peu de personnes à qui on en a parlé ont eu le besoin d’en parler à leur tour, et cet effet boule de neige a permis à chacune de regarder leur histoire en face.
Depuis, d’autres récits d’amnésie traumatique se sont révélés, d’autres histoires plus affreuses les unes que les autres ont été racontées et là on prend conscience, à quel point c’est banal, à quel point les abus sexuels sont monnaies courantes dans les familles ou avec les proches et il serait temps d’en prendre conscience. De se réveiller. D’en parler. D’arrêter de les protéger.
Rompre le silence pour prendre conscience et changer de cap.
Mère de trois futurs hommes, je refuse que leur virilité soit remise en cause s’ils ne dominent pas des femmes.
Je ne souhaite pas qu’ils se plient aux règles sociales qui les pousseront à être des prédateurs.
C’est ma plus grande et ma plus terrorisante mission. Les accompagner à être des hommes respectueux des femmes. Qui croient en l’égalité des sexes, du moins en l’equité, et qui aient conscience du fossé qui nous sépare encore. Je rêve même qu’ils mettent leur pierre à l’édifice pour un monde plus juste, mais ça… Ça dépendra des valeurs qu’on leur a inculquées, et comment ça se manifeste chez eux.
En attendant, je pose mon histoire là, car je sais qu’elle a déjà merveilleusement et tristement aidées certaines femmes de mon entourage (à qui j’envoie un océan d’amour 🙏✨).
Arrêtons de nous taire.
Parlons-en.
C’était banal y’a 30 ans,
C’est intolérable aujourd’hui.
C’est non pour mes enfants. NON POUR TOUS LES ENFANTS.
NON POUR TOUS LES ENFANTS QUE NOUS AVONS ÉTÉ.
Et non, je ne me trompe pas de combat.
C’est juste ce jour-là que j’ai ressenti l’appel du clavier.
En ce 8 mars 2020, 43e journée internationale des droits des femmes, premières victimes d’abus sexuel.
Si profondément touchée par ce texte et notre histoire ❤️
Je t’aime Ariane ❤️
<3 Je t'aime aussi !
Pfiou. J’ai la gorge et l’estomac noué en lisant ce texte.
Ce sujet malheureusement me touche très personnellement et voir que des langues se délient c’est tellement bon. Bon pour les femmes, les enfants, le futur !!
Je t’envoie de l’amour, et oui, je crois que c’est nécessaire
Je te serres sur mon coeur, je t aime . ❤
Je t’envoie plein d’amour ❤️ et qu’elle merveilleuse guerrière tu fais 😘
Merci Hiyam <3
Merci de libérer la parole pour toutes les femmes, blessées et meurtries au plus profond de leurs âmes, et pour les autres !
Merci d’oser.
Merci d’être toi, si douce et si inspirante.
Pour que nos enfants ne connaissent jamais ça. Libérons la parole, agissons en conscience et accordons leur tout le respect qu’ils méritent 🙏🏻❤️
Je te fais un énorme câlin de loin, mais profondément sincère 💫
Merci pour ces mots, qui font tellement écho en moi… je suis sur une lignée de femmes qui ont été maltraitées, abusées, violées… Alors qd on m’a dit : vous êtes celle qui va faire que cela va cesser, parce que vous vous prenez vraiment en main, vous faites le nécessaire, j ai pleuré… pleuré en regardant ma fille et en priant qu elle n aie jamais à vivre cela…
Oh la beauté de cette phrase !
Elle m’a été soufflée également, et ma soeur m’a même dit « tu n’as peut-être pas eu de fille, mais tu sauves la mienne » Priceless. <3
Nous en avons déjà parlé en privé donc tu sais à quel point ce sujet est sensible pour moi…
J’aurais aimé un commentaire percutant mais je n’y arrive pas :/
Courage
Merci d’avoir essayé =)
Je t’aime Ariane, tu changes le monde en osant regarder si profond et en accueillant ces blessures, pour mieux laisser jaillir ta lumière ❤️ Mille câlins ❤️
Merci ma douce amie <3