H.P.
Ces deux petites lettres vont me faire partir en arborescence. T’es prêt.e ?
Je vais commencer par te raconter l’histoire d’origine de ce billet. Ni pour me plaindre, ni pour révolter, juste comme base.
Il y a quelques semaines, j’ai publié une photo de mon fils qui lisait Harry Potter.

J’ai reçu un message auquel je ne m’étais pas attendue.
“Oh non, pas elle, pas toi… »
coeur brisé, déception, formulation jugeante et projection.
Sur le coup,je n’ai pas compris.
Puis, je me suis rappelée ce tweet partagé par l’autrice de la saga, J.K. Rowling. Ce tweet transphobe qui m’a fait de la peine sur le coup, où je me suis dit “oh non Joan, que c’est contrariant de te lire si étroite d’esprit”.
Donc, faisant le rapprochement, je lui dis “oh, si tu parles du tweet transphobe de J.K.Rowling, je compatis à ta peine, moi aussi ça m’a touchée”.
Et puis, je me suis sentie agressée.

Parce qu’elle considérait qu’en tant qu’ »influençeuse » (nb : je ne suis pas une influenceuse, je suis une artiste à relative visibilité, je ne suis pas payée par des marques), je faisais le CHOIX de mettre en valeur l’univers de cette artiste (et donc ses idées transphobes)
Je faisais le choix de ne pas boycotter Harry Potter, par soutien à mes convictions, à mes valeurs.
J’vais te dire, ça m’a sacrément secouée. Parce que dans le fond, elle n’a pas tort. Je lui ai envoyé de l’amour, elle s’est désabonnée de mon compte parce que vraiment, c’était trop décevant et ça la heurtait.
Moi aussi, ça m’a heurtée. Et pas qu’un peu.
J’ai beaucoup cogité à tout ça. Je n’ai pas voulu débattre, car j’ai eu peur. De ne pas me faire bien comprendre (comme d’hab), d’être encore plus maladroite (comme d’hab).
J’avais surtout la peur de la comparaison à Polanski.
Parce que, forcément, je suis révoltée que ce violeur ait été récompensé par notre société, que l’on ait récompensé L’HOMME (réalisateur) et non pas l’oeuvre, et pourtant, je boycotte les “chefs d’oeuvres de Polanski”. Alors pourquoi n’était-ce pas pareil ?
Parce que J.K. Rowling a fait un tweet et qu’elle se doit d’être lisse et intouchable car elle a une grosse communauté, je suis d’accord, mais des boulettes ça arrive à tous les humains.
Là je la défends pas, elle est peut-être, sûrement, réellement transphobe et c’est triste de ressentir le besoin de tweeter ce genre de trucs mais ses idées, ses convictions, ses valeurs… Ne sont pas transmise dans son oeuvre (bien qu’il n’y ait pas de couples gays ouvertement dans l’univers HP)
C’est une vraie question ça mène à de vrais débats intéressants : L’oeuvre / L’artiste… A quel point sont-ils liés ? A quel point se sent-on concerné par les convictions de l’ordre du privé ou du public si on adore une oeuvre quand on déplore certaines prises de parti ?
Tu sais de quel côté je vote ? Et si j’étais à l’opposé de tes convictions, arrêterais-tu de m’encourager dans mes créations, alors que mes oeuvres te touchent ? C’est pas un piège, c’est vraiment passionnant ce genre de débat. Y’a pas une bonne et une mauvaise réponse.

Pour en revenir à ma situation, je me suis retrouvée coincée. D’un coup, je n’avais plus du tout envie de parler de l’univers de Harry Potter (pour ne pas être associée à une meuf qui s’en fout de la transphobie de J.K.Rowling, ou pire, qui véhicule l’image qu’elle est transphobe elle-même) : pourquoi ? Pourquoi me censurer alors que je m’évertue à me représenter dans mon entièreté, mon humanité ? Le culte de la perfection des réseaux est épuisant, vraiment.
On dit à tout va que l’on veut du VRAI de l’authentique, du sacré, du conscient.
Et lorsqu’une mère (parce que je l’aurais peut-être moins mal pris si la remarque avait été faite sur un de mes tshirts Serdaigle, plutôt que sur la lecture de mon fils) fait un pas qui à ton sens est pas celui attendu, tu te fais tâcler. Ça ne va jamais.
Trop faux, trop vrai.
Dans ces remarques, j’ai interprété la chose comme “Tu envoies un mauvais message à ton fils”. Sur une photo, une story, un jugement si fort quand tu ne connais pas tout le reste de ma vie.
Moi, la mère qui parle de transidentité à ses enfants depuis toujours.
Moi, la mère qui fait PARTIE de la communauté LGBTQIA depuis toujours.
Moi, la femme pansexuelle, la femme varioromantique, la femme genderfluid.
Je suis mariée, j’ai trois enfants. Vitrinement parlant je suis le reflet de la société hétéronormée. Et je ne le vis pas mal car une part de moi (une grande part) est hétéro.
Il s’avère que j’ai rencontré une âme qui avait l’apparence d’un homme, et j’en suis tombée amoureuse. Il s’avère que mon corps a l’apparence d’une femme, que notre amour était emboîtable et qu’on a pu faire des enfants sans aucune forme de problème.
C’est un scenario doux et facile. On a eu de la chance. Mais ça aurait pu être tout autre.

Punaise les gars, faites un effort, on est des humains derrière. Plus ou moins sensibles. Quand tu es heurté.e par un texte, soit tu en discutes, soit tu te recentres sur toi et tu te demandes qu’est-ce que ça vient frapper, quel est le message de toi à toi. Mais à quel moment, dans la vraie vie, tu vas aller dire à la personne en face « Tu es une déception, je ne veux plus rien à voir à faire avec toi car nous n’avons pas les mêmes valeurs » (quand en plus vous êtes du même côté du « combat », c’est lol).
J’suis pas là pour légitimer ma non-transphobie parce que “je suis transgenre et que j’en parle pas” #comingoutdelespace
Je suis juste là pour te dire qu’avec tes jugements tu blesses les gens.
Pourquoi je ne parle pas de ma vie intime ? Bah parce qu’elle est intime.
Je comprends bien que l’on milite pour ses droits lorsqu’on est LGBT+ parce que cette société comprend que dalle. Mais en vrai j’espère surtout qu’un jour ça posera plus débat quoi. Qu’on aura plus besoin de PROUVER qu’on est “tolérant” quand on est hétéro. Qu’on n’aura plus besoin de défendre quoi que ce soit si on est mariée à une femme. Punaise, on demande pas aux hétéros sous quelle position du kamasutra ils ont conçu leur bébé, alors pourquoi on s’intéresse autant à la vie sexuelle des gays/trans etc ?
Bref, je pourrai dire que pour moi c’est un non-lieu mais force est de constater que ça m’a remuée, marquée. Déjà parce que c’est pas normal d’être “déçue de quelqu’un” qu’on ne connaît pas. J’veux dire si ça répond pas à tes attentes, passe ton chemin. Ça en dit bien plus long sur les émotions de la personne qui juge que ce que tu fais toi.

J’suis pas + légitime qu’une personne hétéro cis, et j’te raconte pas ça pour que tu te dises “j’avoue elle peut pas être transphobe elle est concernée, ça s’tient”. J’te raconte ça pour te dire que tes injonctions, tes jugements, tes déceptions… Tu peux les formuler de manière à avoir une conversation intéressante et nourrissante. Parce que clairement, y’a moyen de réfléchir sans se justifier et ramer mille ans pour t’exprimer comment t’as mal interprété, sans se confondre en excuse, juste entre humains qui réfléchissent, qui grandissent, qui comprennent des trucs au fur et à mesure.
J’suis plus naïve qu’intolérante. J’suis plus humaine qu’hétéro.
Pour en revenir à ma décision de ne pas sqweezer Harry Potter de ma vie, ça a presqu’eu l’effet inverse. Pour tout te dire, j’ai longtemps eu honte de ma fanitude, parce que HP est connoté Geek (et c’est pas compatible avec la parentalité nveo, tsais, ça rentre pas dans les cases “couches lavables, DME, allaitement, montessori” et tout). Même jeune j’en avais honte parce que c’était les no-life, les gens qui ont pas de vraie vie sociale tout ça… Mais voilà, j’suis sortie de ma chrysalide y’a peu, j’ai arrêté de me mettre dans la peau des autres pour épouser la mienne, et la mienne est tatouée Harry Potter quoi (au sens propre du terme ^^) : Donc, ce mp m’aura permis de me positionner : Harry Potter fait partie presqu’intégrante de ma personnalité, et cet univers a beaucoup trop d’importance pour moi.

Au-delà de l’histoire qui me bouleverse toujours, elle a un sens vraiment essentiel :
J’te raconte aussi un peu.
HP… Deux lettres pour dire Harry Potter et Haut Potentiel.
M’identifier à Hermione Granger à 15 ans m’a permis de me sentir en appartenance. M’a soulagée. C’était mon premier pas vers la conscience de mon haut-potentiel, de mon atypisme. Si Hermione était née dans une famille moldue, en décalage total, et était une sorcière, alors moi aussi. Moi aussi j’étais juste une enfant décalée. J’attendais pas ma lettre de Poudlard, mais ça m’a aidée. A comprendre que, parfois, il y a des mondes secrets qui nous permettent de trouver un sens à notre identité.
Moi c’était l’étiquette HP que je me suis collée des années plus tard (pour m’en détacher, mais j’avais besoin de ce pas d’appartenance).

Harry Potter m’a aidée à m’accepter dans la vraie vie comme quelqu’un de marginal.
De plus, il m’aide à créer une harmonie dans ma vie de famille, car il génère une passion commune : comme j’ai beaucoup de goodies, les enfants se sont intéressés tôt à l’histoire, que je leur racontais avec joie et amour en résumant. Puis en grandissant, je leur ai lu les livres, on a regardé les premiers films ensemble, etc… Un univers imaginaire si riche… Il crée de la connexion de la complicité. Et c’est très important pour moi, pour nous.
Ok, on aurait pu se passionner pour les oiseaux, ou le yoga (et qui dit que c’est incompatible), mais on aime solliciter notre imagination, et être dans des mondes merveilleux où les différences sont perçues comme des pouvoirs.
(et on en revient au choc d’une JKR transphobe xD Si incohérent avec son univers).
Bref, ce texte est parti dans tous les sens, j’l’avais pressenti. On a parlé de tout de façon plus ou moins animée, mais tu lis bien que, pour résumer :
- Je suis fan de harry potter et je n’en ai pas honte
- Mes enfants aussi, et ça ne les empêche pas d’être ouverts à toute forme d’amour, autre qu’un garçon + une fille (et le reste relève de notre intimité, et notre famille donc je n’ai pas à expliquer plus en détail la manière donc j’éduque mes gosses à un environnement inclusif)
- Je ne suis pas transphobe
- J’aime la communauté LGBT et j’en fais partie, même si tu t’en étais pas rendu.e compte
- J’aime les humains, j’aime la vie, j’aime l’amour, et je vis ainsi. Dans cette harmonie
- Je me pose beaucoup trop de questions : je suis atypique. J’ai pas fait science po (au grand désarroi de mon père), je suis une artiste improbable. Et c’est parfait ainsi.
- J’aime mon mari. J’aime mes enfants. J’aime ma famille. Même ceux qui ont des idées arrêtées et préconçues sur les LGBTQIA.
- J’suis pas transphobe. J’suis âme-o-phile.

Je trouve que d’une manière générale, ça dénonce le fait que sur les réseaux sociaux, on frise le harcèlement. Sous prétexte qu’on partage des extraits de vie, les gens pensent qu’ils sont en droit de venir donner leur opinion de façon virulente. Les gens osent de moins en moins partager pas peur que ça leur « tombe dessus ».
Perso, j’appelle ça du harcèlement.
C’est surtout ça le problème.
Cette nana peut très bien penser, pour ses propres raisons, qu’elle est déçue que tu ne boycottes pas Harry Potter à cause d’un tweet inadmissible, mais là où les gens dépassent les bornes, c’est qu’ils se sentent en droit de venir te dire ouvertement les choses alors qu’on ne se connait pas, et te blesser au passage.
C’est beau et c’est fort d’oser parler de cette anecdote, car je crois que beaucoup de monde sur Instagram subit ce cyber-harcèlement.
J’ai adoré ce texte aussi décousu que le fil de mes pensées quotidiennes. Cœur sur toi belle âme.
Lo
« J’suis âme-o-phile. » ❤
Merci pour tes mots, comme souvent.
Je trouve ce sujet si compliqué, et il est si facile de voir les choses toutes noires ou toutes blanches. Si on savait TOUT ce que pensent nos artistes préférés, je suis persuadée qu’on trouverait des points de fort désaccord avec la pluspart, voire tous. Et c’est encore pire si on pense aux artistes des siècles précédents, qui vivaient dans un contexte socio-culturel si éloigné du notre. Tout rejeter en bloc me semble trop simpliste, un racourci qui rapporte des bons-points et permet de juger ceux qui ne le font pas.
Je ne te connais pas personellement, mais à la lecture de ton blog je ne peux douter que tu donne une éducation pleine d’ouverture et d’amour à tes enfants. Et à moi aussi, tu m’as apporté plus d’ouverture d’esprit et de bienveillance par tes écrits ici. Alors merci de participer à faire de ce monde un endroit avec plus de magie et d’amour, malgré les jugements que cela génère.